God
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Dragon
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Est-ce à cause de l'effacement des dernières traces des anciens temps (la Chine du début du 20e siècle, la colonisation britannique) ou de la mainmise grandissante de la Chine (dans le domaine économique), toujours est-il que la nostalgie du vieux Hong Kong est devenue un vrai genre de films du 7e art de l'Île aux parfums. On a eu récemment des succès critiques comme Sparrow de Johnnie To, Echoes of the Rainbow d'Alex Law ou encore... Crazy Kungfu de Stephen Chow. GALLANTS est à classer dans cette catégorie.
Il y a une double nostalgie dans le film du duo Derek Kwok-Clement Cheng. La première est celle du mode de vie des Hongkongais d'autrefois, des années 70-80. Le film a beau être situé à notre époque, on se croirait dans les années 80. Le fait de placer le récit à la campagne accentue cet effet. On découvre une communauté de gens qui vivent un peu hors du temps. Ils se contentent de peu, passent leurs journées à bavarder au petit café-restaurant - leurs sujets de conversation évoquent d'ailleurs le passé, à se chamailler. On voit peu de bidules des temps modernes comme les téléphones portables ou les ordinateurs et le Net. Quand on voit la télé, on découvre qu'elle passe des pubs au style vieillot. Cette plongée dans le passé est fort agréable, on est pleinement dans une atmosphère sereine, on a même l'impression de sentir des parfums d'autrefois. Les personnages ont une façon de parler fort truculente. Cela nous rappelle les comédies HK des frères Hui, des productions Cinema City ou les kung fu comedies. Les effets comiques du film sont d'ailleurs essentiellement basés sur la verve de certains caractères - surtout Teddy Robin. C'est un petit régal quand on comprend le cantonais (jeux de mots, gros mots, clins d'oeil, etc.)
La seconde nostalgie est celui du cinéma hongkongais d'autrefois. Revoir les visages de Bruce Leung, Chen Kuan Tai, Teddy Robin, Michael Chan Wai Man, Siu Yam Yam, Lo Mang au premier plan nous plonge immédiatement dans nos souvenirs de hk-cinéphiles. Les auteurs du film revendiquent leurs influences : ils ont été bercés par les films de la SB, de la Golden Harvest ou de Cinema City; aujourd'hui ils leur rendent un hommage rigolard. Le choix du casting des vieux est fort réussi : toutes ces "gueules", on l'oublie parfois, sont d'excellents comédiens pour la plupart, et ce depuis leurs débuts sans doute. On ne le dira jamais assez, mais Bruce Leung a toujours été un bon acteur. Son sens des gestes, sa façon de réagir, sa locution, sa présence, ses coups de pied, etc. sont admirables. Comme le bon vin, il est encore meilleur en vieillissant. S'il avait eu une plus belle gueu-le, et peut-être moins solitaire, il aurait sans doute été une véritable grande star du cinéma HK. Il y a ensuite Teddy Robin, véritable élément comique du film. Son rôle est un hommage parodique à Lau Kar-Leung. Sa façon très directe de parler, sa vivacité d'esprit, son sens des traditions, sa philosophie et son amour des filles... tout dans son personnage nous rappelle le sifu tel qu'on a pu voir dans des films ou dans ses déclarations. Les auteurs ont su greffer dans ce personnage l'humour, la truculence du Teddy Robin des comédies des années 80. Ce personnage nous réserve de beaux moments comiques. Dès qu'il se réveille, il vole la vedette aux autres. Teddy Robin mérite l'Award du meilleur second rôle.
L'hommage au cinéma HK d'autrefois, via des acteurs, et celui au style de vie du petit peuple de HK se marient plutôt bien. Mais cela ne donne pas automatiquement un film réussi. Que les amateurs de films d'action HK le sachent : même si GALLANTS raconte une histoire de pratiquants de kungfu, il n'est pas pour autant un véritable film de kungfu. C'est une comédie nostalgique mâtinée de kungfu. Il y a en tout 3 ou 4 scènes d'action, qui n'ont d'ailleurs rien d'innovant - le dernier combat sort un peu du lot. La faute n'est pas dû au chorégraphe Yuen Tak, mais au choix des auteurs du film, qui accordent plus d'attention aux relations humaines qu'à l'action pure. Ce film manque de point de vue. Il n'y a pas de fil rouge. Ce n'est pas pour autant un film choral. Le récit débute avec le personnage de Wong You-Nam, qui cède peu à peu sa place à Teddy Robin, lequel se retirera en faveur de Bruce Leung. Les personnalités de chacun sont vaguement esquissées. Les transitions ne sont pas soignées. C'est assez énervant quand on commence à apprécier un personnage. En fin de compte, on ne sait plus vraiment qui raconte l'histoire (sinon cette voix off anonyme d'un récit de manga). Un spectateur qui s'attache à un film commence par s'attacher à un personnage. Or ici, tous les personnages nous glissent entre les mains. On a de la sympathie pour tout le monde, y compris les "méchants", mais sans réelle affection pour quelqu'un en particulier. Dans ces conditions, celui qui joue le mieux a nos faveurs : on se souviendra surtout de Teddy Robin. Ce film se veut aussi une réflexion sur la philosophie des arts martiaux. Certes, on voit comment doit se comporter un vrai pratiquant de kungfu : il ne suffit pas de maîtriser ses coups de poing et de pied, il faut également discipliner son esprit. Mais ces éléments sont trop vite parcourus. Dans un style plus simple et plus direct, Lau Kar-Leung savait faire mieux. Les auteurs, qui ont voulu rendre hommage au cinéma kungfu d'antan, ont aussi oublié de construire une histoire simple de film de kungfu. Ils creusent des pistes, sans les exploiter : une vague histoire de vengeance du maître, un défi sur le ring, une histoire d'expropriation, une petite orpheline, une amitié enfantine, etc... Il y avait là plein de bonnes idées, mais qui sont restées en plan, hélas. Sans intrigue véritable, sans personnage central, le film prend le risque de lâcher le spectateur en cours de route, surtout si celui-ci est insensible à l'effet nostalgie. En regardant le making-of dans les bonus, on se dit qu'une des raisons du relatif échec artistique du film vient du fait qu'il y a eu trop d'interventions sur le tournage. On a l'impression que Gordon Lam et Andy Lau, producteurs du film, étaient aussi les 2 autres réalisateurs non crédités. Techniquement, c'est du beau travail. Le style n'a rien d'époustouflant, mais on a le temps d'admirer chaque scène. On est loin des effets clipesques qui pourrissent la plupart des films d'action d'aujourd'hui.
GALLANTS est un film mal écrit. Si les auteurs avaient peaufiné leur scénario, ils auraient pu nous offrir un vrai bon film.
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其实人在小时候就已经养成看待世俗的眼光,只是你并不自知。(侯孝贤)
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