Ringo Lam : L’Interview09 septembre 2014Texte de Grady HendrixInterview de Hiroshi FukazawaTraduit de l'anglais par TsuiHarkRetrouvez le texte original sur
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City on FirePas aussi flashy que John Woo et jamais aussi frénétique que Tsui Hark, Ringo Lam est l’un des réalisateurs de Hong Kong les plus mésestimés. Il s’est fait un nom avec des polars sophistiqués et pessimistes qui ont posé les bases stylistiques d’un certain genre de cinéma urbain dans le Hong Kong des années 80/90.
Ringo Lam débute à la télévision, à la CTV et à la TVB et réalise 5 longs métrages avant de trouver son style avec
City on Fire (1987), le film qui deviendra la maquette de
Reservoir Dog de Quentin Tarantino. Sorti à peine quelques mois après
Le Syndicat du Crime de John Woo et Tsui Hark, le film met aussi en vedette Chow Yun Fat et contribue au succès de l’
Heroic Bloodshed à Hong Kong. Son film suivant avec Chow Yun Fat,
Prison on Fire (1987), est un autre grand succès. Il enchaîne rapidement avec
School on Fire (1988), que la censure massacrera (30 coupes seront exigées pour alléger le ton et le contenu du film) et qui sortira face au
Police Story 2 de Jackie Chan. Inutile de le préciser, le film ne marque pas le box office, mais reste à ce jour l’un de ses meilleurs films et ne demande qu’à être restauré.
Il continue avec
Wild Search (1989), une histoire d’amour légère mâtinée d’action et
Prison on Fire 2 (1991), un nouveau succès. Echaudé par la mauvaise expérience de
School on Fire, Ringo Lam s’essaye au film apolitique, avec un
Full Contact enragé (1992), dont il dira lors d’une interview au Hong Kong Film Archive, « Je ne voulais pas d’un film qui traite des sujets sociologiques et politiques de notre époque. Je voulais m’en laver les mains et repartir de zéro. Des gens m’avaient menacé de me découper en morceaux, m’accusant d’avoir des opinions politiques néfastes, et je ne voulais plus être mêlé à tout ça. Je voulais faire un film dont le style serait indescriptible. »
Il rencontre à nouveau le succès en 1997, avec ce qui peut être considéré comme son film le plus noir et le plus implacable à ce jour,
Full Alert, qui est, d’une certaine façon, son adieu à Hong Kong et au polar. Ses deux films suivants sont un film d’action à gros budget qui fera un flop (
The Suspect, 1998) et un thriller d’épouvante (
Victim, 1999). Et après s’être occupé de la petite comédie romantique
Looking for Mr. Perfect (2003), il disparaît. A l’exception de sa participation à
Triangle en 2007, dont il réalise un des trois segments, Ringo Lam restera silencieux pendant 11 ans.
Jusqu’à aujourd’hui…
Plus tôt dans l’année, Ringo Lam a annoncé qu’il débutait le tournage d’un nouveau film,
Hustle (devenu
Wild City). Mettant en vedette Shawn Yue, Joseph Chang, Louis Koo, et Jack Kao, il s’agit d’un récit épique de cupidité que la compagnie de production décrit ainsi :
« Bienvenue à Hong Kong, ville où règne un seul mot d'ordre : l'argent. Dans ce paradis capitaliste, la vie ne tient qu'à l'argent, et tout à un prix. Jeunesse, dignité, rêves... tout est à vendre. L'argent hiérarchise la population en classes sociales et repousse les limites de notre endurance. Notre seul ressort face au cruel appât du gain est l'amour et notre propre humanité. »
Il y a environ deux semaines, Ringo Lam a prit une pause dans le planning du tournage de
Wild City pour répondre aux questions du scénariste Hiroshi Fukazawa
[NdT : il n’est pas le scénariste de Wild City]. Leur conversation a pris place un samedi après midi, au restaurant de dim sum Tao Li, au Nikko Hotel dans le quartier est de Tsim Sha Tsui, à Kowloon, autour d’une théière de Oolong, de rouleaux de printemps, de crêpes de riz au porc façon char siu, de bouchées au poulet, d’un plat de calamar à l’ail, de raviolis aux crevettes et des Siu Mai préférés de Ringo Lam (il en aurait mangés trois sur les quatre dans l’assiette).
Ringo Lam sur le plateauComment s’est passée votre première journée de tournage sur Wild City? Je me suis évanoui et je suis tombé sous le coup de la chaleur!
Sérieusement ?Oui, j’ai complètement perdu connaissance; j’avais trop chaud. Sans blague. Mais je me suis accroché, comme une force de la nature, et j’ai fini le film. Je suis en pleine forme maintenant.
Pouvez-vous nous parler un peu de l’histoire et des personnages de Wild City ? Comment le film se rapproche-t-il de City on Fire et Full Alert ?On pourrait considérer
Wild City comme le troisième volet de la “trilogie des City”, avec
City on Fire et
Full Alert. Ces films se passent tous à Hong Kong et mettent en scènes des personnages qui y sont perdus. Dans
Wild City, je m’intéresse au pouvoir tentateur de l’argent, à sa capacité à séduire les personnages tout en les obligeant à remettre en cause la ploutocratie
[NdT : système de gouvernement où l'argent constitue la base principale du pouvoir, qu’il ne faut pas confondre avec le capitalisme qui est une économie de marché. La distinction a son importance puisque, en désignant ainsi le système politique de Hong Kong, Ringo Lam fait preuve d’une certaine virulence].
Tant de vos premiers films parlaient des laissés-pour-compte de Hong Kong (les prisonniers, les étudiants, les petites frappes) qui se battaient contre le pouvoir en place (les flics, les gros bonnets, les profs, les administrateurs). A quoi ressemble le pouvoir à Hong Kong aujourd’hui ? Selon vous, qui sont les gagnants et qui sont les perdants de la société d’aujourd’hui ? Avez-vous observé un changement depuis les années 80 ou pensez-vous que rien n’a changé ?Je pense qu’il s’agit d’un problème mondial. Au Japon ou aux Etats Unis, comme ailleurs, chaque pays se bat pour son propre profit et défend les intérêts de ses citoyens. Les gens sont pareils, pleins de cupidité et d’égoïsme. Quand le pouvoir est occupé par des gens puissants, on voit apparaître des mouvements populaires de contestation. C’est la base même de la société. Il y a donc toujours ce besoin de se défouler, d’évacuer le sentiment d’injustice. Mon film reflète la réalité de cette situation. Cela dit, mes personnages ne sont pas des ratés, ils sont simplement perdus. Perdus dans la ville, perdus dans une situation. Ou perdant la foi face à leur incapacité à réaliser leurs rêves. Comparé aux années 80 ? C’est exactement la même situation. Par analogie avec un ordinateur, je dirais qu’on a amélioré le matériel mais que les logiciels sont restés les mêmes. Ça peut sembler différent de l’extérieur, mais à l’intérieur c’est toujours la même chose : tout le monde est cupide et on est tous égoïstes.
Dans Full Alert, plusieurs scènes ont été tournées dans des quartiers de Hong Kong qui n’existent plus. Le film est le témoignage d’une époque révolue. L’esprit de la ville a-t-il changé depuis, ou seulement l’emballage ? Pour le meilleur ou pour le pire ?"Déconcertant" est le mot qui conviendrait le mieux. C’est de plus en plus exaspérant. On a l’impression de vivre dans une marmite d’eau chaude qui serait à deux doigts de bouillir. La société s’enrichit, mais notre niveau de vie n’augmente pas à cause de l’incroyable inflation. Tout est beaucoup trop cher et inabordable. A Hong Kong, la population a augmenté et de nouveaux bâtiments ont été construits, mais personne n’a les moyens de s’y payer un appartement. Il y a plein de maisons vides ici. Et pourtant, aujourd’hui, la plupart des gens à Hong Kong vivent en surnombre dans des appartements trop petits et inhabitables. En Cantonais on dit que « s’habiller, manger, vivre et bouger » sont les quatre besoins humains fondamentaux et pourtant notre niveau de vie est tout simplement horrible. Enfin, ces inégalités entre les riches et les pauvres se retrouvent partout, c’est un thème universel. Wall Street aussi fait face au même problème. Obama n’a absolument rien changé, il n’a rien solutionné. Je dirais même que du temps de George W. Bush – on l’appelle Bush Jr. en chinois – tout semblait plus paisible. L’Asie n’a pas prospéré depuis l’arrivée d’Obama au pouvoir et l’environnement politique est plus tendu que jamais. Il reste plein de problèmes non résolus et la guerre au Moyen-Orient continue toujours… C’est tout simplement déconcertant.
Wild CityIl s’est écoulé plus de 10 ans depuis votre dernière réalisation [NdT : sans compter Triangle]. Quels sont les aspects de ce projets qui vous ont donner envie de vous remettre au travail ?Il y a plusieurs raisons. Il était temps pour moi de refaire des films. Mon fils est diplômé et je pense que ma femme en avait marre de me voir à la maison. J’ai déjà 60 ans et mes jours de tournages sont comptés, ou du moins, le compte à rebours a commencé. J’ai peut-être encore 10 ans pour réaliser des films… si j’ai de la chance.
Wild City m’est venu naturellement. J’ai envie de faire des films qui me laissent libres de m’exprimer. C’est un outil qui me permet de me soulager, de dire ce que j’ai sur le cœur, mais c’est aussi un miroir : j’apprends à me connaître à travers mes films. Je ne suis plus motivé par l’argent.
Quelles étaient les raisons d’une si longue retraite ? Là aussi, il y a plusieurs raisons. J’étais agacé par l’industrie cinématographique de Hong Kong du début des années 2000 et mon dernier film,
Finding Mr. Perfect, a été un bide au box office. Le public ne voulait qu’une chose de moi : que je fasse le même film encore et encore. Mais je ne vois pas l’intérêt de me répéter indéfiniment. Et puis, ça faisait bien 20 ans que je travaillais dans ce business ; il était temps pour moi d’être le protagoniste de ma vie, dans mon propre film, celui ou je suis l’acteur principal. Je voulais passer plus de temps avec ma famille, voyager autour du monde, apprécier la nature, redonner un coup de fouet à ma vie et, par dessus tout, observer les gens et apprendre à mieux les connaître. Je voulais avoir des sources d’inspiration, de la matière à travailler, des sujets qui vaillent la peine de faire un film.
Comment la production cinématographique a-t-elle évolué depuis votre dernier projet ?Je dois avouer que nous avons de plus gros budgets aujourd’hui. L’ironie, c’est qu’il n’y a qu’une poignée d’acteurs qui ont les faveurs du public et qui font des entrées. Pensez un instant à l’incroyable augmentation de notre marché avec l’ouverture du public de Chine Continentale : nous faisons maintenant des films pour un public de plus d’un milliard de personnes. En comparaison, Hong Kong ne compte que 7 millions d’habitants. Et pourtant, c’est toujours la même poignée d’acteurs qui se partagent la tête d’affiche. Il y a aussi un problème majeur causé par le manque d’équipes de tournage. La plupart des techniciens expérimentés ont déménagé et sont partis travailler en Chine Continentale. Ils ont quitté Hong Kong.
Ce qui me dérange le plus, c’est le déclin de notre savoir-faire Hong Kongais en matière de cascades. Avec le recours croissant aux effets spéciaux, plus personne ne se donne la peine de faire de vraies scènes d’action, de vraies cascades comme nous les faisions dans les années 80. C’est peu judicieux, selon moi, car il ne nous sera jamais possible de dépasser Hollywood en terme d’effets spéciaux. Les vraies scènes d’action et les vraies cascades, ça a toujours été ça notre point fort, notre atout. Celles de
Full Alert sont toutes vraies et nous les avons tournées en secret, sans permis de tournage, en pleine rue. Pour mon retour, mes anciens cascadeurs m’ont rendu visite; ils avaient tous les cheveux gris. Certains ont disparu et sont injoignables aujourd’hui. Il n’y a aucun nouveau talents dans ce domaine. Les jeunes d’aujourd’hui ne jouent pas dans la même cour : ils dépendent complètement des effets spéciaux. Et il faut bien l’avouer les effets spéciaux sont très différents d’une cascade authentique. Pendant l’âge d’or du cinéma de Hong Kong, notre marque de fabrique était nos scènes d’action authentiques. Elles étaient à la pointe de ce que le cinéma pouvait offrir. On vendait une impression de
réalisme et un véritable sens du
danger, pas des images de synthèse.
Aujourd’hui il est évident que le cinéma de Hong Kong a redéfinit le cinéma d’action dans le monde. C’était une avancée incroyable car c’est ce qui nous rendait unique. Les comédies et les comédies romantiques Hong Kongaises ne pourront jamais atteindre cela, à l’exception de quelques films d’auteurs comme ceux de Wong Kar Wai, par exemple, mais ça reste rare. Quand vous parlez du cinéma de Hong Kong, vous parlez de notre cinéma d’action. Sans de bons cascadeurs expérimentés et bien équipés, notre tradition va s’envoler. J’avoue volontiers qu’aujourd’hui en terme d’action et de cascades de voitures, l’industrie grandissante du cinéma Thaïlandais a déjà dépassé Hong Kong. Les Coréens, avec leur mélange du style hong-kongais et du style américain, font, eux aussi, mieux que nous. Le seul genre dans lequel les cinéastes de Hong Kong ont toujours le dessus est le Wu Xia Pian, je pense notamment au films de Tsui Hark, car ils puisent leur inspiration dans l’histoire de la Chine. Les Coréens n’ont pas assez d’histoires et de légendes pour s’attaquer à ce genre. Mais le Wu Xia Pian n’est que pour les Chinois, ça n’intéresse pas le marché international.
Wild CityEtait-il difficile de retrouver les plateaux ou aviez-vous l’impression de ne jamais les avoir quittés ?Après avoir eu un coup de chaleur le premier jour, je suis de retour en pleine forme. Cela dit, quand on se concentre totalement sur son travail, qu’on y tient vraiment, on finit par sentir la pression, aussi bien physique que mentale. C’est parce qu’on veut faire au mieux. C’est intense et loin d’être relaxant parce que vous y tenez à mort. Ai-je l’impression de ne jamais être parti ? Évidemment ! Je suis dans mon élément. En chinois, on dit “Tout ce que mon esprit imaginait, mes mains le réalisait.”
Enfin, avez-vous apprécié votre semi-retraite ? Était-elle reposante ? Qu’avez-vous fait durant tout ce temps ? Réaliser des films vous a-t-il manqué ?J’ai appris à trouver de l’espoir et j’ai passé du temps à méditer sur le sens du mot optimisme. J’avais tendance à éviter les films pendant cette période. Je les évitais si je le pouvais. Je ne les regardais pas et je ne voulais même pas y penser. Mais ils me manquaient quand je dormais, dans mes rêves.
Attendez, si je comprends bien, le prochain film de Ringo Lam pourrait être dans une veine plus optimiste ?Je n’ai pas voulu renforcer l’aspect optimiste de mes films. Tout ce que je peux dire, c’est que certains de mes personnages ont la chance de survivre à la fin. Cela dit, leur survie peut se répéter indéfiniment, ça ne changera rien. Le monde continue de tourner.
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Hiroshi Fukazawa a réalisé le documentaire
Development Hell (2007) sur la production du film
Bodyguards & Assassins, et il est scénariste à Hong Kong.